Un sanglier jaillit du sous-bois, une moisson saccagée au lever du jour : la faune sauvage n’attend pas d’invitation pour bouleverser le quotidien des agriculteurs et des automobilistes. À chaque rencontre brutale, une question persiste, tenace : qui doit régler la facture de ces incursions imprévues ?
La réponse, loin d’être évidente, cristallise les tensions entre chasseurs, exploitants agricoles, propriétaires et élus locaux. Quand la nature déborde du cadre, le jeu de la responsabilité ressemble à une partie de quilles où chaque acteur se renvoie la balle. Derrière les indemnisations et les règlements, c’est tout un équilibre rural qui se joue, souvent dans l’ombre des débats publics.
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Pourquoi les dégâts de gibier posent-ils un problème grandissant ?
Le gibier s’affranchit désormais des limites. Les sangliers illustrent ce phénomène : leur population a bondi, multipliée par dix depuis les années 1980 en France. Le résultat se lit dans les cultures et récoltes, régulièrement attaquées, aussi bien en pleine campagne qu’aux portes des villes.
Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer cette situation :
- La disparition progressive des prédateurs naturels et l’augmentation des surfaces cultivées
- Un morcellement du paysage, qui offre d’innombrables abris aux animaux sauvages
- Une adaptation remarquable : aujourd’hui, le sanglier s’installe sans complexe jusque dans les zones périurbaines
Leur appétit ne relève pas de l’exagération. Maïs, blé, betteraves : tout y passe, parfois en une seule nuit. Pour certains agriculteurs, une parcelle entière peut être retournée, clôtures couchées, semis dévastés. La facture des dégâts de gibier dépasse les 60 millions d’euros chaque année. Ni les agriculteurs ni les chasseurs ne s’attendaient à un tel niveau de pertes.
Dans certains territoires, la pression exercée par la faune sauvage franchit un cap pour l’agriculture. Les discussions deviennent rugueuses entre chasseurs et exploitants : chacun campe sur ses positions, et le dialogue s’enlise. L’indemnisation et la gestion de ces dégâts sont devenues un indicateur de la santé du monde rural, et l’enjeu ne peut plus être éludé.
Qui doit payer : propriétaires, chasseurs ou collectivités ?
En France, c’est du côté des chasseurs que l’on se tourne pour régler la note. Ni les propriétaires de terres, ni les collectivités locales ne financent directement ces indemnisations. Chaque année, les fédérations départementales des chasseurs (FDC) perçoivent des cotisations auprès de leurs adhérents, et ce sont ces fonds qui permettent de compenser les agriculteurs pour les dégâts du gibier.
Le fonctionnement repose sur plusieurs étapes :
- La fédération nationale des chasseurs (FNC) supervise l’ensemble et répartit les budgets selon les besoins de chaque département.
- Les FDC locales instruisent les dossiers, évaluent les pertes subies et procèdent aux paiements aux agriculteurs concernés.
La collectivité publique intervient en retrait, s’assurant que les règles soient respectées et siégeant dans certaines commissions de contrôle. Quant aux propriétaires de terres, ils sont exonérés, sauf s’ils ont confié le droit de chasse à un tiers hors fédérations.
Ce système, dont le financement repose entièrement sur la chasse, montre ses faiblesses dès que les dommages explosent. Les fédérations départementales n’ont alors d’autre choix que d’augmenter les cotisations, sous peine de mettre le modèle en péril. Régulièrement, la question d’un élargissement du financement aux collectivités ou aux propriétaires refait surface, mais pour l’heure, la chasse reste au cœur du dispositif. L’équilibre reste précaire.
Comprendre le mécanisme d’indemnisation et ses conditions
Tout débute par une déclaration de sinistre. L’agriculteur doit signaler les dégâts à la fédération départementale des chasseurs dans les délais prévus. Cette démarche enclenche la procédure.
Une inspection sur le terrain est ensuite organisée, habituellement sous la houlette de la commission départementale de chasse et de faune sauvage. Autour de la table, on retrouve des représentants agricoles, des chasseurs, des agents de l’État et parfois l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage). L’indemnisation dépend de critères précis, qui sont :
- Le type de culture ou de récolte concerné
- La surface détruite
- La valeur marchande de la production perdue
- La mise en place de filets de protection ou tout autre moyen préventif
Les montants sont calculés selon des barèmes officiels, fixés par le code de l’environnement. Une fois la perte reconnue, la fédération départementale indemnise sur la base des contributions des chasseurs. Si un désaccord survient, la commission nationale d’indemnisation peut être saisie pour arbitrer.
Ce mécanisme, pensé comme une forme d’assurance, vise à préserver la continuité des exploitations agricoles tout en maintenant un équilibre entre gestion cynégétique et production alimentaire.
Ce que change la loi pour les victimes de dommages causés par le gibier
Des évolutions récentes dans la législation sur les dégâts de gibier modifient les règles du jeu pour les victimes, notamment les agriculteurs. Le code de l’environnement impose désormais un délai de dix jours ouvrés après la constatation des dégâts pour faire sa déclaration. Au-delà, la demande est rejetée, sauf circonstances exceptionnelles.
Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont renforcé les droits des exploitants. Toute personne détenant un droit de chasse, qu’il s’agisse d’un propriétaire privé ou d’une association communale, doit participer à l’indemnisation, sous la surveillance des fédérations départementales des chasseurs. La loi précise également que la prescription court sur cinq ans pour engager une action en justice après le sinistre.
- Le juge peut désormais trancher les litiges, sans qu’un accord préalable soit obligatoire entre les parties.
- Les barèmes d’indemnisation sont réévalués régulièrement pour garantir un traitement équitable des exploitants agricoles.
Le législateur a mis fin à l’incertitude, offrant aux victimes un cadre fiable et évitant les errements dans les méandres administratifs. L’objectif : s’assurer que la réparation ne soit plus laissée au hasard. Ce choix traduit la volonté d’organiser enfin une coexistence supportable entre faune sauvage et agriculture, sans que les agriculteurs ne servent de variable d’ajustement.
Quant au sanglier, il ignore toujours le code de l’environnement. Mais chaque empreinte laissée dans un champ rappelle que, chaque nuit, l’équilibre entre chasse, nature et agriculture se joue sur une ligne de crête mouvante, là où la responsabilité humaine s’invente encore.







































